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D'Eshnunna à Aghrapur

Le trajet d'Eshnunna à Aghrapur vous laisse quatre jours pour découvrir la situation politique en Turan. Vous apprenez comment Jakilo, le frère de Jakita, a pris le pouvoir après avoir renversé le sultan légitime.

Jakilo enfant avait perdu la vue après un repas lors d'un voyage en Khitai dont la cuisine est parfois mystérieuse. Il cachait ses orbites vides derrière un bandeau, rongé par la honte et la haine des cuisiniers khitai.

Son père, Jakar, richissime prince marchant d'Aghrapur et siégeant à droite du sultan, a découvert dans un codex millénaire la description d'un artefact puissant pouvant rendre la vue aux aveugles : les yeux de jade. Il a été créé aux premiers âges de l'homme, dans la cité de Zukundu depuis oubliée. Le vénérable ouvrage décrit les merveilles du précieux objet mais débute une mise en garde sans la terminer, rongé par les vers. Cette mise en garde paraît bien peu pour un père qui a la possibilité de rendre la vue à son enfant.

Plusieurs années passèrent avant qu'un voyageur ne lui révèle la position exacte de Zukundu, au centre d'un lac habité par des crocodiles gigantesques. La cité elle-même était maudite. Néanmoins le mystérieux personnage assura pouvoir amener l'artefact à Aghrapur, ne voulant comme dédommagement que l'assurance d'un traité de paix avec un pays qui n'existait pas encore. Son seigneur, Soda, aurait la possibilité d'arracher les yeux de jade au crâne dans lequel ils sont enchâssés.

Six mois passèrent avant que le voyageur n'amène à Jakar le puissant objet, enveloppé dans des linges blancs et caché dans une boîte de métal qui tordait la lumière à son contact.

L'attitude du voyageur était hésitante. Après des mises en gardes relatives à l'artefact d'un côté et des menaces de l'autre, Jakar prit de force la boîte de métal étrangement chaude et fit jeter dehors son porteur, lui fournissant une escorte qui l'accompagnait jusqu'aux frontières du royaume.

Jakita raconte tremblante les cris de son frère lorsque les yeux de jade ont trouvé leur place dans ses orbites vides, les convulsions, le long sommeil de 7 jours, puis le réveil, et les cris de joie d'un père embrassé à nouveau par le regard de son fils.

Lorsqu'il devint évident que Jakilo émettait une lumière verte, qu'il maigrissait rapidement et que son caractère changeait, un silence inquiet recouvrait la maison Yari. Un soir fut introduit dans la maison un conseiller spécial du sultan, Ibn Ghazi. Jakar se méfiait de lui, mais Jakilo lui accorda son attention.

En deux semaines ils furent inséparables, au bout de trois des prêtres d'une religion oubliée vinrent chaque jour auprès de l'Aveugle Qui Voit à Nouveau. Bientôt des dizaines, des centaines puis des milliers de pèlerins, de toute classe sociale, attendaient au dehors du jardin immense des Yari, dans l'espoir d'apercevoir la sinistre lumière verte projetée par les nouveaux yeux de Jakilo.

Le peuple avait une ancienne prophétie, et attendait un homme, un messie, qui les conduirait vers la vraie liberté. Né riche, devenu aveugle à la suite d'une sauce pas fraîche, une magie ancienne lui rendrait la vue, la Vraie Vue, et l'Aveugle Qui Voit à Nouveau jetterait à terre les tyrans pour annoncer le renouveau de l'humanité, libérée de ses chaînes et des cuisiniers peu scrupuleux.

L'histoire de l'ascension de Jakilo est une histoire de violence, de haine et de trahison. Guidé par Ibn Ghazi, il fit emprisonner son père, qui mourut dans des circonstances tragiques et l'incendie de son cachot pourtant humide (Jakita nota une incongruité : une forte odeur de romarin émanait de la geôle de son père) ; il y eut chaque jour des lynchages de cuisiniers khitai par la foule, puis des lynchages de khitai même pas cuisiniers ; et enfin le sultan fut arrêté par certains de ses propres gardes, et jeté au cachot.

Arrestation de Yezadig

La suite n'est pas connue de Jakita : son frère lui proposa l'exil vers un sérail de Khauran ou la mort. Elle choisit l'exil. Mais l'état du sultanat ne laisse pas de doute : une tyrannie en a remplacé une autre, les pauvres sont encore plus pauvres, les riches encore plus riches et la justice plus cruelle que sous le règne de Yezadig. Une police secrète, dirigée par un rouquin au menton fuyant et au léger défaut de prononciation, traque les loyalistes.

Ceux de Dadun comprennent que ce sont ces troubles qui ont chassé de Turan Mercer le vampire, ont épuisé le commerce des épices vers l'Ouest, et les ont poussés à entreprendre le long voyage qui les mènent, ce soir d'automne, dans "La Troisième Morue" tenue par Mehran Qasemi, un ami d'Ali l'Alchimique. Et ils comprennent, assis dans la salle commune, le rôle qu'ils y ont joué.